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3 novembre 2018 6 03 /11 /novembre /2018 22:29

 

Je l'aime bien, ce terrain de camping désaffecté à flanc de coteau. Oh ce n'était pas un de ces campings qui se la pétait, hein, ça se voit encore. On sent le camping de prolos, on sent les Trente Glorieuses. On passe l'antique barrière rouille et blanche qui barrait jadis l'entrée et puis on remonte l'allée dorénavant partiellement recouverte de terre et qui zigzague dans les feuilles mortes. De loin en loin, une cahute dissimule une douche et des toilettes rudimentaires qu'au fil du temps les morveuses(-eurs) du proche patelin, hérédosyphilitiques et désœuvré(e)s, ont fini par dézinguer. Et puis ces petits emplacements, encore reconnaissables malgré la végétation. Strict minimum. Juste l'espace pour une canadienne et la Quatre Chevaux®. Ou une Vespa®, un transistor et un Teppaz®.

En bas les vestiges de la buvette — et les restes du mini-golf dans lequel on se croyait à bord de l'ascenseur social.

D'un bout à l'autre de l'abandon ça schlingue De Gaulle, les yéyés, la nostalgie et l'ennui.

C'est bon, l'ennui.

 

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25 octobre 2018 4 25 /10 /octobre /2018 20:04

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24 octobre 2018 3 24 /10 /octobre /2018 13:45

 

Gérasse avale sa bouillie et ce faisant tombe parfois sur un morceau de noix qu'elle avait mal pilé.
Alors avec sa langue elle le maintient plaqué contre la gencive.
Ça lui rappelle ses dents.
Et elle rit aux éclats.
Bien sûr lorsqu'elle rit le bout de noix-dent tombe par terre.
Et sa chienne se rue dessus.
Et le mange.
Ces deux-là ont toujours eu le sens de la fête.

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24 octobre 2018 3 24 /10 /octobre /2018 13:14

 

Elle s'est complètement égarée sur la ligne du temps. Oui, c'est ça. Complètement égarée. Les mois ne signifient plus rien, les ans dansent la farandole, la frise chronologique fait des zigzags, les chiffres sont absurdes, les décennies s'empilent de guingois, les souvenirs s'emmêlent. L'année de la guerre est plus actuelle que l'année actuelle.

Elle s'engouffre dans des calculs. « Combien de temps depuis que », « Le même laps entre ça et ça qu'entre ça et ça », « Si je reportais la durée de là à là ça me mènerait là », « J'ai l'âge qu'avait ma grand-mère quand ». Vous voyez le style. Elle cherche des repères comme un poisson cherche l'oxygène. Elle cherche des repères mais si elle en trouvait ne saurait pas trop quoi en faire.

C'était plus simple lorsqu'elle pensait encore que c'était le temps, justement, qui passait. Elle aurait pu se sentir intègre et le rendre unique responsable de ces circonvolutions. Mais le temps est la seule chose qui ne passe pas, puisque pour passer il faudrait qu'il le fasse par rapport à lui-même — ce qui reconnaissez-le serait abstrus. Le temps est fixe, c'est elle qui se balade le long de lui. Ce sont ses propres pas qui l'ont perdue.

La vieillesse est un naufrage et pourtant elle meurt de vertige.

Elle essaie d'imaginer la scène.

Elle rit encore.

Elle est décidément bien joyeuse.

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12 octobre 2018 5 12 /10 /octobre /2018 22:45


Elle a les bras qui lui en tombent à chaque fois qu'elle passe là-bas. Parce qu'elle aimerait que ce soit du second degré, mais elle subodore que ce n'est pas le cas : le ceusse qui a posé l'écriteau est fatalement une saleté de petit-bourgeois illettré. Un infatué qui ne comprend pas ce qu'il écrit lui-même. Donc qui ne comprend pas ce qu'il pense. Un type fier de posséder quelque chose — un bout de pré qui par définition n'appartenait à personne et qu'il a subséquemment volé à la Terre entière.

Elle passera sur l'introduction. « Propriété privée ». C'est d'un classique à chialer. Le pléonasme nauséabond et affreux. Comme si « propriété » ne suffisait pas, non. Il faut en remettre une couche. « Propriété » tout seul ça ne renifle pas encore assez la bêtise crasse, il lui faut l'arrogance de l'inutile épithète. Et puis « propriété privée », à l'oreille c'est chouette. Dans cet abracadabrant assemblage de mots on entend tout de suite les miradors, les barbelés, les chiens-loups, le vert-de-gris. Ça sonne presque aussi bien que « Verboten » ou « Achtung Minen ». « Propriété privée » ça fait immédiatement le distinguo entre les gens bien et les gens pas bien. « Propriété privée », sémantiquement ça en jette. Et puis ça annonce que la suite de l'écriteau va être de haute volée.

Or en effet, on n'est pas déçu(e). La suite du panneau c'est l'ukase surréaliste : « Défense de déposer des objets illicites ». Si si. Et alors là, elle ça la plonge dans des abîmes de perplexité. « Défense de déposer des objets illicites »... Tadaaaaaaa ! Frotte-toi les yeux et relis lentement, Nicole. Ça veut dire quoi ? Rien. Rien du tout. Le type, après la puérile morgue de son « Propriété privée », s'est fendu d'une phrase qui n'a aucun sens. Si l'objet est illicite il est inutile de dire qu'il est interdit de le déposer, puisqu'il était aussi interdit de l'avoir. En même temps s'il est interdit de l'avoir il faut bien le déposer quelque part. Donc si on l'a il est censé être licite. Et s'il est licite on peut le déposer là, puisque ce n'est pas interdit. Donc on peut déposer là tout ce que l'on a eu un jour le droit d'avoir. À moins que ce soit de la mécanique quantique. L'objet licite devient illicite quand on l'observe. Enfin quand le capitaliste autoproclamé maître des lieux l'observe.

À moins que... À moins que rien.

Elle imagine très bien le 4x4 stationné quelques mètres plus loin et puis le ceusse, venant de planter son avertissement, le maillet encore à la main, se tapotant fièrement la bedaine en contemplant son œuvre. « J'ai deux de Q.I. et je suis chez moi ».

Et ce sont des types comme ça qui dictent la marche du monde.

 

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12 octobre 2018 5 12 /10 /octobre /2018 22:40

 

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12 octobre 2018 5 12 /10 /octobre /2018 22:19


Elle dirait ça, si on le lui demandait. Oui, elle dirait ça. Elle dirait que la folie ce n'est pas cette petite chose romantique qui arrive par grain lorsque l'on en a envie. Non. La folie ce n'est pas non plus une attitude, un accoutrement, un mode de vie, une si merveiiiiiiiilleuse et originale manière de faire qui surprend les autres. La folie est un drame. Un drame interne, véritable, infini. La folie c'est quand on perd le pouvoir sur son propre cerveau. La folie c'est quand on perd sa propre liberté de penser.

Or c'est ce qui lui arrive, cher lectorat, depuis un moment. Un peu plus chaque jour. Son cerveau est en roue libre. Il va où il veut — mais tourne toujours dans les mêmes coins. Un peu comme un(e) chien(ne) qui ne revient plus quand on lui crie « ici ! », passe son temps dans des poubelles que l'on ne parvient à fermer, refuse de donner la patte quand on la lui demande ou au contraire ne cesse de la donner quand on ne la lui demande pas.

Ce n'est pas que son cerveau fasse mal les choses, hein. Au contraire. Si elle ne craignait d'être taxée de vantardise elle trouverait même qu'il s'en sort plutôt bien. En tout cas pour l'instant. Aucun souci pour un raisonnement, un savoir, un apprentissage de texte par cœur, une démonstration, une déduction, un calcul mathématique, un souvenir lointain. Mais depuis plusieurs mois ce n'est plus elle qui en décide. Désormais de nombreuses heures par jour elle n'est plus là. Son cerveau va où il veut et elle elle glisse, elle dérape. Elle dévisse. Elle dodeline. Elle bave.

Elle est incapable du moindre lien social.

Par chance n'en a aucune envie.

Elle chiale peut-être.

Comme elle le disait déjà naguère, il faut n'être ni folle ni poétesse pour trouver la folie poétique.


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7 octobre 2018 7 07 /10 /octobre /2018 13:12

 

Kératine adore avoir des ongles. Elle veut dire des vrais ongles, hein, longs, réguliers, durs, acérés. C'est le seul truc qui va bien, dans sa sénescence galopante. Avant, des ongles, elle ne pouvait pas en avoir. Dans les premières décennies de sa vie parce qu'elle se les rongeait, dans les dernières parce que le prolétariat les lui flinguait.


Jusqu'à aujourd'hui jamais elle ne vécut d'une façon qui lui permettait d'en avoir.
 

Mais maintenant elle ne fait concrètement plus rien avec, vous comprenez. Rien. Même pas gratter la terre. Et elle ne peut matériellement plus les ronger. Alors elle les regarde pousser. Fière de ses griffes comme elle le fut jadis de ses crocs.
 

Ses ongles ont remplacé ses dents.
 

Et elle sourit de tous ses doigts.

 

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1 septembre 2018 6 01 /09 /septembre /2018 15:23

 

Elle ne pense pas tous les jours à Lamartine, hein, n'allez pas croire — elle n'y pense pas parce qu'elle n'a pas de sympathie particulière pour le ceusse, elle n'y pense pas parce que hormis pour le lectorat elle n'a de sympathie particulière pour quiconque, elle n'y pense pas tout simplement parce que la plupart du temps elle ne pense pas ; elle passe bien trop de temps à ne rien faire pour avoir le temps de faire quelque chose. Mais allez savoir pourquoi elle se remémore ce matin l'échange entre le type du fauteuil Sept et ce social-traître patenté de Bastiat : « Votre doctrine n’est que la moitié de mon programme ; vous en êtes resté à la Liberté, j’en suis à la Fraternité », asséna le premier ; « La seconde moitié de votre programme détruira la première », réagit le second.

 

Ah, Alphonse ! (Vous permettez qu'elle vous appelle Alphonse ?) Que n'enchérîtes-vous en rétorquant à l'autre salopard de capitaliste attitré que la première eût également anéanti la seconde ? Que celle du milieu, « l'égalité » que pour une obscure raison vous omîtes, eût produit exactement le même effet sur les deux précitées ? Que ces deux eurent à leur tour ratiboisé cette absente, si absente elle n'avait point été ? Que la devise républicaine est une musette contenant tout et son contraire, le glaive et le bouclier, la règle et le tampon, la dote et l'antidote ? Qu'elle est un slogan publicitaire, un truisme choisi pour son seul effet masturbatoire et sa facilité de scansion, ne correspondant à aucune logique et ne résistant à aucune analyse ?

 

Non, Alphonse. Elle n'ira pas jusqu'à corroborer les propos de Flaubert à votre égard — d'autant qu'elle ne croit évidemment pas que la vigueur intellectuelle se tienne là où ce butor la situe, bien au contraire ; depuis votre siècle l'Histoire a continué à nous le démontrer. Vous fûtes selon elle seulement une sorte de Hollandiste avant l'heure, et avez tant aidé vos fossoyeurs que l'on se demande si vous n'en étiez pas uniquement « l'idiot utile ».

 

Merci tout de même pour « Le Lac » et deux ou trois autres trucs plutôt bien écrits. Et pour avoir incité, ce Quinze fructidor 226, une vieillarde à interrompre un instant le râle de son agonie, cent quarante-neuf ans après le vôtre, pour rédiger ce fort immodeste dazibao.

 

Bisous.

 

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31 août 2018 5 31 /08 /août /2018 13:01

 

« Elle va aller voir la mer, tiens. Oui, c'est ça, elle va aller voir une dernière fois la mer.
— La mer ? Mais... quelle drôle d'idée... Elle n'a jamais tellement aimé cela, la mer, elle a même jadis tenu des propos très durs, sur la mer, sur les prétentions de la mer, sur l'odeur de la mer, sur son arrogance et sa suffisance, sur le fait qu'elle se prenait pour la Terre. Et... et maintenant qu'elle est si proche de la fin elle veut aller la revoir, elle qui de toute sa vie l'a pourtant si peu vue ?
— Les choses n'ont pas le même goût, lorsque l'on sait les faire pour la dernière fois. Et il lui est venu l'idée un peu folle que seul le vent de la côte était encore capable de balayer les souillures de son âââââââme. Vous voyez, il lui aura fallu tout ce temps avant de croire à l'action bienfaitrice de quelque corps étranger en son sein, et c'est peut-être afin de compenser cela que pour jouer ce rôle elle en appelle au plus vaste.
— La mer, donc.
— Non, le vent. Le vent qui a choisi la mer pour épouse, qui vit dans le même foyer qu'elle et que la vieille dame veut ravir pour une étreinte. Elle va aller voir la mer parce que le vent y habite. Elle va aller voir la mer pour la faire cocue. »

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  • Nicole Garreau
  • Fille éperdue.
  • Fille éperdue.

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